La fraude électorale russe fait son strip-tease

Par Anya Ayvazyan

© World Economic Forum

Dernier épisode de la ronde des dirigeants, chorégraphiée par le duo Poutine/Medvedev.


La place Bolotnaya milite pour des élections justes


…..La compréhension du scrutin présidentiel russe de 2012 exige un retour sur les élections législatives du 4 décembre 2011. Selon les ONG et les observateurs indépendants, celles-ci auraient été massivement falsifiées. Tous les Russes se souviennent d’un épisode curieux : tandis qu’une animatrice de télé annonçait les résultats détaillés de chaque région – stupeur ! – le parti présidentiel Russie Unie aurait recueilli un total de 146% des votes dans l’une d’elle! Une bourde révélatrice de l’état de démocratie du pays.


…..Tout a commencé quelques mois avant les législatives, lorsqu’un leader de l’opposition – le bloggeur Alexey Navalny – lança un appel incitant à ne pas voter pour le parti Russie Unie. La société civile se senti alors portée par un mouvement de contestation naissant. Mais au lendemain du scrutin, les Russes purent constater de nombreuses falsifications. La grogne s’intensifia. Le 10 décembre, près de 100 000 Moscovites ont participé au rassemblement pour des élections justes. Du jamais vu depuis plusieurs décennies. Cette manifestation sur la place Bolotnaya symbolisa le réveil d’une conscience politique qui auparavant était majoritairement indifférente aux manipulations du pouvoir.


…..La victoire de Poutine restait pourtant acquise d’avance : des médias à sa botte, des chaînes de télévision fédérales aux programmes orientés, des règles de libre-concurrence non respectées… Le directeur adjoint de l’ONG GOLOS (Organisation Civile de Défense des Lois et des Libertés) souligne d’ailleurs que « d’importantes infractions ont été commises avant même le jour de l’élection ». Les électeurs n’ont même pas assisté à de réelles confrontations entre les principaux candidats car Vladimir Poutine, à l’époque Premier Ministre, a refusé de participer aux débats publics.


Des méthodes de fraude multiples


…..En 2012, « personne ne sait quels sont les résultats réels des présidentielles russes, et personne ne le saura jamais » ajoute le militant de GOLOS. Le Mouvement Démocratique et Libéral espérait un second tour digne d’une démocratie saine, mais Poutine a su l’éviter par tous les moyens.
Les procédures de vote à domicile notamment – une option offerte à ceux qui ne peuvent se présenter aux bureaux de vote – représentent à elles seules 25% des falsifications constatées par les correspondants de GOLOS. Ainsi, le pourcentage de « malades » a considérablement augmenté depuis les élections législatives de décembre 2011 : 1, 5 millions des Russes se sont sentis brutalement incapables de venir jusqu’aux urnes. Dans certaines régions comme le Caucase du Nord, le Daghestan ou l’Ingouchie, leur nombre a augmenté de 300%. Une situation qui simplifie très largement la « correction » des résultats par les pouvoirs locaux chargés de recueillir les bulletins de ces votants.


…..Autre problème majeur pour les observateurs : le « bourrage d’urnes ». Le seul recours possible en cas de doute consiste à vérifier les chiffres présentés par le responsable du bureau de vote qui par ailleurs n’est pas obligé de s’expliquer sur le décompte des bulletins. Seuls les observateurs indépendants présents lors des journée électorales peuvent donc prétendre dénoncer les fraudes prises sur le fait. L’ONG GOLOS en a construit une cartographie : Moscou vient en tête accompagnée de Saint-Petersbourg et suivie des régions de Samara et Krasnodar, les localités les mieux couvertes par les observateurs. Les bénévoles de GOLOS ont reçu plus de 5200 messages témoignant d’infractions!


…..Une troisième méthode utilisée par le pouvoir fut la technique dite du « carrousel » ou « vote multiple ». Elle consiste à mobiliser des votants qui circulent entre les différents bureaux pour exercer leur devoir citoyen dans chacun d’entre eux. Le cas a été suffisamment massif pour entrainer des embouteillages dans certaines artères de la capitale. Une fraude décomplexée dont les organisateurs ne se cachaient pas, laissant numéros de téléphone, liste des participants et lieux de rassemblement disponibles sur Internet.
La pratique s’est aussi largement répandue dans les résidences universitaires où l’on craint le vote d’une jeunesse majoritairement favorable aux forces d’opposition. A l’Université de Moscou, ces combines ont provoqué de fortes altercations entre les étudiants et l’administration scolaire pro-Poutine.


…..Mais la fraude peut être plus grossière encore : les autorités se sont simplement contentées de corriger les résultats à la fin de la journée. « J’ai été obligée de falsifier les résultats, sinon j’aurais pu perdre mon travail », avoue une enseignante responsable d’un bureau de vote. Certains professeurs, sous la pression du directeur, ont été forcés de présenter des résultats incorrects. « Ils ont promis 25 000 roubles pour chacun, mais nous avons reçu seulement 20 000 pour 5 personnes », précise-t-elle (NDRL : le salaire mensuel d’un instituteur est d’environ 40 000 roubles).


…..Après cette période électorale, la fonction d’observateur est devenue un élément important de la société russe. Jamais auparavant elle n’avait été aussi populaire. Des Moscovites volontaires sont partis dans les régions lointaines pour combattre la fraude dans le cadre des scrutins locaux qui ont suivi. Parmi eux, on retrouve de nombreuses stars comme Leonid Parfenov, écrivain, animateur de télé, activiste et opposant. Tout le monde a pu le suivre grâce aux caméras installées dans les différents bureaux de vote, une mesure prise par le gouvernement espérant apaiser la protestation. Pourtant, les caméras mêmes n’ont pas su freiner les falsificateurs. Des millions de Russes ont ainsi eu la possibilité d’observer les fraudes en direct. Une vraie « Loft Story » électorale!


Les votes « bizarres » de Poutine


…..L’expert indépendant et physicien Sergey Chpilkin estime qu’à peu près 9 millions des votes de Poutine sont « bizarres ». Selon l’analyste, son score réel serait de 57, 5% (au lieu de 63, 5%). Les écarts entre les votes recueillis par Vladimir Poutine à la capitale et dans certaines régions périphériques comme la Tchétchénie posent également question : respectivement 47% et 99, 8%. D’un côté, des milliers d’observateurs et de l’autre, le contrôle total du pouvoir local. « Les observateurs dans le Caucase risquaient des représailles violentes », précise le directeur adjoint de l’ONG GOLOS. « Si ces élections avaient été libres, le pouvoir aurait pu avoir pas mal de problèmes », pense-t-il.


…..Mais aujourd’hui la vraie menace pour le pouvoir en place serait plutôt à chercher du côté des leaders de la contestation, ces opposants « hors système » qui n’ont pu se présenter à l’élection présidentielle mais qui, depuis l’élection, manifestent sans relâche.


Anya Ayvazyan est journaliste pour les rédactions russes de RFI et The New-York Times.




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