De la dictature parfaite à la démocratie imparfaite

Par Céline Lemaire

© Protoplasma Kid

Au soir de l’élection présidentielle mexicaine du 1er juillet 2012, Enrique Peña Nieto a été déclaré vainqueur avec 38,21% des voix. Dès l’annonce de ce résultat, dans les rues de Mexico, ses détracteurs se sont levés. Pour eux, il y a eu fraude : l’opinion a été manipulée, les urnes ont été volées et les résultats truqués.




…..Au Mexique, l’élection présidentielle a eu une conséquence positive : celle d’unir (dans l’adversité) les indignés. Le soir du scrutin, ils n’acceptent pas les résultats annoncés (38,21% pour Enrique Peña Nieto (droite), 31,85% pour Andres Manuel Obrador (gauche) et 25,46% pour Josefina Vazquez Mota (PAN, conservateur, au pouvoir)). Dans les heures qui suivent, des manifestations sont organisées un peu partout dans le monde.


…..Le mouvement couvait depuis des mois déjà. Yo soy 132, figure phare de cette révolte, est né le 11 mai 2012. Alors que Peña Nieto est en campagne à l’Université ibero-américaine de Mexico, une manifestation spontanée s’organise contre lui. Le quadra photogénique tente alors de convaincre les médias que les manifestants sont de « faux étudiants ». Pour prouver le contraire, 131 d’entre eux se filment brandissant leur carte d’identité. La vidéo circule sur Internet. De nombreux Mexicains se rallient à leur cause et s’autoproclament 132ème.



Une fraude institutionnalisée

…..Pour tous les 132ème, les raisons d’honnir « le candidat de la fraude et de la corruption » sont multiples. Pour eux, les premiers corrompus sont les médias mexicains et en particulier les deux chaînes de télévisions principales : Televisa et TV azteca. Parmi les textes de référence de Yo soy 132, figure un article de The Guardian aux allures de polar. Il révèle l’existence de l’équipe Handcock, un bureau secret de Televisa et d’un accord financier signé en 2005. Le but du groupe Handcock : améliorer l’image de Peña Nieto et dégrader celle de son principal adversaire, Manuel Lopez Obrador. Son moyen de propagande : des spots publicitaires achetés par le PRI.


…..Grâce à ces vidéos, l’équipe de campagne de Peña Nieto a manipulé l’opinion. Mais la parole n’étant pas toujours suffisante, elle y a joint l’acte : celui de l’achat direct. Des cartes cadeaux, de l’argent ou de la nourriture ont été offerts aux citoyens en échange de leur bulletin, certains d’entre eux n’hésitant pas à l’avouer aux journalistes. Ces pratiques sont à l’origine du désordre ubuesque du « Sorianagate ». Au lendemain de l’élection, des magasins de la chaîne Soriana ont été débordés par les clients qui affluaient en masse avec des bons d’achat offerts par le PRI. Leur valeur : de 100 à 1500 pesos (6 à 90 euros).


…..Certains citoyens corrompus ont été chargés de recruter d’autres électeurs, et ce jusqu’au jour de l’élection, devant le bureau de vote. Un Mexicain l’explique dans une vidéo de France 24 : c’est un véritable système de vente pyramidale qui a été mis en place. Le PRI a organisé des réunions durant lesquelles il a repéré ses agents capables eux-mêmes de recruter de nouveaux électeurs. Ainsi, selon une étude de l’organisme Alliance Citoyenne, un Mexicain sur quatre a été sollicité pour vendre son vote pendant la campagne.


…..Selon l’analyste Laura Carlsen, l’évolution des résultats publiés au cours de la nuit du 1er au 2 juillet est statistiquement impossible. Dans certains bureaux de vote, le nombre de voix est même supérieur au nombre de votants. Plus surprenant encore, dans le village de Santiago Tutla, Enrique Peña Nieto avait promis aux habitants que s’ils votaient pour lui, il leur construirait des toilettes publiques. 526 des 529 électeurs se sont exécutés.

Ces opérations coûtent cher. Trop cher. Enrique Pena Nieto aurait dépensé près de 50 millions de dollars pour sa campagne. Un montant largement supérieur au seuil légal mexicain : 21,7 millions de dollars.



Des casseroles à trainer

…..Au-delà de l’élection, les manifestants craignent le retour au pouvoir du PRI qui a déjà gouverné le pays pendant plus de 70 années consécutives au cours du XXème siècle. Ils gardent en mémoire sa répression sanglante du mouvement étudiant de 1968 et ses nombreuses fraudes électorales. Durant la campagne de 2012, un candidat du PRI à la mairie d’une ville de l’État de Chiapas a abattu un militant du PAN (parti du président sortant Felipe Calderon). Des violences qui n’ont pas empêché Peña Nieton de célébrer sa victoire en affirmant que le parti avait changé, que son règne ne serait plus synonyme d’autoritarisme et de corruption.


…..Les Mexicains traumatisés par la répression violente des manifestations d’Atenco ont eu du mal à le croire. Difficile d’oublier ce mois de mai 2006 lors duquel des floriculteurs ont manifesté contre l’implantation d’un supermarché sur le terrain qu’ils utilisaient pour vendre leur production. Enrique Peña Nieto, alors gouverneur de l’État de Mexico, ordonne l’intervention policière. La répression violente entraîne la mort de deux manifestants, dont un garçon de 14 ans. 26 femmes sont violées. Des activistes sont emprisonnés. Aucun policier n’est inquiété.


…..« Nous voulons la démocratie, pas des feuilletons » scandent les manifestants du mois de juillet 2012. Ils raillent ainsi la femme d’Enrique Peña Nieto, actrice de Telenovela Angelica Rivera. En 2010 leur mariage avait été largement médiatisé, l’heureux mari faisant oublier la mort mystérieuse trois ans plus tôt de sa première femme. Interviewé par une journaliste sur la raison du décès de celle-ci, il n’avait pas su répondre. Cette maladresse a donné lieu à de nombreuses rumeurs dont certaines allaient jusqu’à l’accuser de meurtre. Pour les plus indulgents, Monica Pretelini Sàenz se serait suicidée en raison des infidélités de son mari.


…..Si le candidat a su convaincre certains électeurs, c’est grâce à son attachement à la sécurité. C’est ce qu’explique l’analyste Jean-François Boyer. Dans ce domaine, le président sortant, Felipe Calderon a essuyé un échec cuisant. Il avait promis de mettre fin à l’emprise des narcotrafiquants sur le pays et depuis son accession au pouvoir en 2006, 50 000 personnes sont mortes dans cette guerre contre les cartels. Enrique Peña Nieto a su profiter de ce funeste bilan et surenchérir en promettant d’éradiquer la pauvreté qui touche 46% des 112 millions de Mexicains.


…..Le 12 juillet, le candidat de la gauche, Manuel Lopez Obrador a déposé un recours en invalidation de l’élection présidentielle. Le 31 août, il a été rejeté à l’unanimité par les sept juges du Tribunal fédéral électoral. Le lendemain, l’instance suprême a proclamé Enrique Peña Nieto élu avec 38,2% des voix contre 31,6% pour Manuel Lopez Obrador. Ce jour-là, Yo soy 132 n’a rassemblé que 300 manifestants devant le Tribunal.



Les 132èmes, entre espoir et résignation

…..Aujourd’hui, à Paris, le 132ème, c’est Manuel, Georgina, Alberto, Uriel, Elena, Kenya et Vanessa. Parmi eux, certains sont allés voter dans l’espoir d’un changement. D’autres sont abstentionnistes et le revendiquent. Kenya, étudiante mexicaine à l’EHESS, un drapeau rouge blanc vert entre les mains a voté en 2006. Cette année, elle ne s’est pas déplacée car elle supposait que, comme la dernière fois, son vote ne serait pas respecté. « Je suis pessimiste en ce qui concerne la démocratie au Mexique mais aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on peut au moins montrer au monde ce qui se passe », se félicite-t-elle. Pour elle, Peña Nieto n’a pas compris l’époque dans laquelle il vit. Il n’a pas saisi la portée de cette résistance virtuelle.


…..Les manifestants mexicains, quelque soit leur camp, partagent un constat : il y a des lois au Mexique, mais elles ne sont pas respectées. En premier lieu par la classe politique. Pour Manuel, membre actif de Yo soy 132 à Paris, c’est le PRI qui a répandu massivement des pratiques telles que l’achat de voix ou le financement illégal des campagnes. Alors maintenant, « la démocratie, on y croit et on n’y croit pas », explique-t-il. Pour lui, le fait qu’elle mette tant de temps à s’installer est désespérant. « La lutte pour la démocratie est très ancienne au Mexique et on avance petit à petit. Nous croyons fermement que la voie armée n’est pas la solution et qu’il faut se battre de manière démocratique et pacifiste », ajoute-t-il. Un combat non violent qui promet d’être rude. Selon toute vraisemblance, Peña Nieto sera bien, pour les six prochaines années, le président d’un pays passé de la dictature parfaite (selon l’expression de l’écrivain Mario Vargas Llosa) à la démocratie imparfaite.




A Paris, la contestation gronde face à la… par Piw_Progress_In_Work

Commentaires
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