Le PRI(x) du vote

Par Delphine Rigaud


© Protoplasma Kid

Les vieilles méthodes clientélistes instaurées par le PRI pour acheter la paix sociale ont fait des adeptes à gauche comme à droite. Entre le cynisme des politiques et le pragmatisme des électeurs, qui se laissent volontiers convaincre pour quelques pesos, le vote à la mexicaine repose sur la simple règle de l’offre et de la demande.




« On m’avait promis 3000 pesos, mais je n’en ai reçu que 1500. Vous pourriez m’aider à obtenir les autres ? » 


…..Au Mexique, le vote est devenu un contrat à effet immédiat. Le citoyen ne cède plus son idéal démocratique à la promesse d’une politique publique des plus irrésistibles. Il lègue ses convictions au bon samaritain qui lui paiera ses factures, ou au cynique qui le menacera de supprimer ses allocations. Réalité absolument pas déformée, basée sur des témoignages en sortie de meetings, confirmés plusieurs mois après le scrutin présidentiel, quelque soit le parti. Parmi les plus marquants, Carmen, 54 ans, habitante d’un quartier populaire au sud de Mexico. Elle s’est laissée charmer par la solution à court terme. Quelques traites de retard et l’élection tombait à pic. Pour la troisième fois, sans regret ni repenti. « Pourquoi je devrais avoir honte ? Échanger mon vote contre de l’argent, c’est de la politique concrète. J’ai besoin d’argent, lui il a besoin d’un vote. Tout le monde est gagnant. » Sauf que cette fois-ci, le contrat n’a pas été respecté par l’acheteur et la mère de famille est allée le faire savoir au camp d’en face. Avec elle, des milliers d’électeurs détenteurs de cartes bancaires ou de supermarchés prépayées, mais à moitié vides.


…..« Au Mexique, les gens sont pragmatiques. Ils adaptent leur préférence aux opportunités. Le vote ne vaut absolument rien politiquement. Il ne se traduit pas en décision politique ou en réforme. Alors les électeurs l’échangent contre un confort ponctuel. » Le constat d’Antonio Attolini, membre du mouvement étudiant Yo Soy 132, est amer. Pendant toute la campagne présidentielle, les jeunes Mexicains auront tenté de restaurer l’importance d’un vote libre de tout clientélisme ou d’influence médiatique. Mais les méthodes du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), hégémonique pendant près de 70 ans, sont passées à la postérité. « Quand l’alternance est enfin arrivée en 2000, les institutions n’ont pas été suffisamment réformées pour mettre fin à ces pratiques, explique l’étudiant en droit. Aujourd’hui, trois partis ont la possibilité de s’imposer. Mais quand viennent les élections, ils continuent d’utiliser ces mêmes méthodes pour arriver au pouvoir. Oui, désormais nous avons une alternance, mais c’est une alternance de mafieux. »


…..À en croire les sociologues et analystes politiques, l’achat de vote a toujours existé au Mexique, mais il n’aurait jamais été aussi important que lors de l’élection du 1er juillet 2012. Ricardo Monreal, coordinateur de campagne d’Andres Manuel Lopez Obrador, candidat de la gauche arrivé en deuxième position, dénonce « un manque de culture politique et un manque d’amour de la démocratie, vecteurs d’une société meilleure et de gouvernements meilleurs. » La cause selon lui : le PRI et le PAN, la droite au pouvoir depuis 2000. Monreal les accuse d’avoir « prostitué » la démocratie mexicaine. « La politique est tellement dépréciée que lorsque l’on se déplace en campagne et que l’on fait des propositions, les gens nous disent : ‘Non, non, non ! Dis-moi plutôt combien tu vas m’offrir pour mon vote !’ Alors oui, il y a un problème de fond. » Comme pour faire comprendre qu’ils sont obligés de rentrer dans le jeu.


…..Du côté du vainqueur – l’inventeur de l’achat de vote au Mexique – on enfile les œillères. Les scènes surréalistes d’électeurs escroqués devant les supermarchés complices laissent pantois. Emmanuel Reynaud, membre de l’équipe « diffusion et message » pendant la campagne d’Enrique Peña Nieto renvoie les milliers de témoignages à des « anecdotes ». « On ne peut pas nier qu’il y ait des cas particuliers, mais les choses ne sont ni blanches ni noires. Que ce soit arrivé dans des cas particuliers ne veut pas dire que la grande majorité des électeurs n’a pas pris sa décision par rapport à ses convictions. » Pour le PRI, le scrutin fut totalement transparent et libre. « C’est une grande victoire pour le peuple mexicain ! » L’étude sur les achats de vote la plus sérieuse recense 8% des électeurs quand l’écart entre le vainqueur et son dauphin ne dépasse pas 6 points. Le conseiller stratégique nuance : « Si vraiment ça s’est produit, il n’y a aucune raison de penser que c’est plus arrivé dans un parti que dans un autre. » Pendant toute sa campagne, le président élu, Enrique Peña Nieto, a matraqué que le nouveau PRI avait tiré un trait sur ses mauvaises habitudes. Le clientélisme a certainement été oublié en cours de route.


…..Car selon le rapport de la Mission des Experts Électoraux (MEE) de l’Union Européenne, l’Institut Fédéral Électoral (IFE), en charge de la bonne marche des élections mexicaines, a fermé les yeux sur « l’iniquité du scrutin due à l’achat et aux pressions sur les votes » en faveur d’Enrique Peña Nieto. Alors qu’il existe tous les moyens légaux pour punir l’influence financière, affirment les experts européens. Tenu confidentiel jusque 4 mois après l’élection alors qu’il avait été remis en main propre à l’IFE, ce rapport, révélé par la revue d’investigation Proceso, renforce les accusations de la gauche et des jeunes de Yo Soy 132.


…..La MEE soutient également que l’IFE devrait enquêter sur « l’achat de la couverture éditorial ». Déjà dénoncé dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian, « le présumé accord entre Televisa et le PRI pour impulser la candidature présidentielle d’Enrique Peña Nieto » inquiète les spécialistes européens. « Bien que les pactes secrets entre partis et médias soient difficiles à démontrer, les autorités compétentes ne devraient pas renoncer aux investigations. » La gauche, elle, ne lâchera pas. Elle a annoncé qu’elle présenterait une plainte devant la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Mauvais perdants ou pour la beauté du geste ? La jeune démocratie mexicaine, elle, ne s’en plaindra pas.



Delphine Rigaud est journaliste et correspondante au Mexique.

Elle est l’auteur du blog Sauce Mexicaine sur Rue89.

Lisez son article « Au Mexique, le vieux parti veut reprendre le pouvoir » sur La Tribune de Genève.


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