Par Céline Lemaire
© Belarus Presidential Press and Information Office
Cueillir des champignons. C’est ce à quoi appelaient les candidats de l’opposition, à la veille des élections législatives biélorusses du 23 septembre 2012. La route qui mène vers la démocratie est longue.
…..Depuis son accession au pouvoir en 1994, Alexandre Loukachenko dirige la Biélorussie d’une main d’acier. Il a progressivement imposé son autoritarisme, allant jusqu’à manipuler les résultats du scrutin présidentiel de 2010. Il s’est alors proclamé président réélu et réprima la contestation. Parmi les donneurs d’alerte, Ales Bialatski, vice-président de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme et président de l’association indépendante Viasna, a été condamné à la colonie punitive pour quatre ans et demi.
…..C’est donc sans surprise qu’en 2012, les opposants ont décidé de boycotter l’élection du Parlement, institution à laquelle Loukachenko a retiré toute prérogative grâce à son coup d’État constitutionnel de 1996. Depuis, l’opposition en est absente et les députés se contentent d’entériner les décisions du chef de l’État. 103 des 110 membres de la Chambre sortante se revendiquent « indépendants », ce qui dans le jargon politique biélorusse se traduit par « à la botte du président ». Qu’ils soient directeurs d’entreprises publiques, responsables de kolkhozes ou de sovkhozes, militaires ou fonctionnaires, ils n’ont aucune expérience politique et doivent tous leur poste au régime dont ils pérennisent la corruption.
…..Quand bien même la voix des députés aurait un poids quelconque, les chances pour l’opposition de remporter une élection sont faibles. Les moyens mis en œuvre pour garantir le succès des candidats favorables au président Loukachenko se démultiplient. Cette année, dans certains bureaux de vote, les électeurs avaient le choix entre… un seul candidat ! Au-dessus de l’urne : sa photo. Sur le comptoir : un apéritif. Pour d’autres, les déplacements étaient facilités par l’octroi d’un bus qui leur était réservé. Après avoir voté, ils n’étaient pas reconduits chez eux mais dans un autre bureau où ils se dirigeaient vers l’urne en rang d’oignon, choisissant toujours le même bulletin. Le jour du scrutin, Siarkei Martsalian et Aryna Lisetskaia, ont observé et dénoncé ce bourrage d’urnes. Ils ont ensuite momentanément disparu.
…..Cette méthode dite du « carrousel » est rendue possible grâce au vote par anticipation (imposé aux militaires, aux étudiants et à certains autres salariés). En ouvrant cinq jours à l’avance, cette règle permet officiellement de mobiliser les citoyens et de faire en sorte que tous puissent s’exprimer. En réalité, ces suffrages favorisent souvent le gouvernement et dépassent toujours le nombre d’inscrits. Car pour voter par anticipation, aucune justification n’est requise et aucun justificatif n’est remis. Il est donc impossible de vérifier qu’une personne qui se présente le jour du scrutin n’a pas déjà voté. Des électeurs ont même témoigné avoir été forcés à voter. Dans des fermes collectives, ils n’ont reçu leur salaire qu’une fois le devoir citoyen accompli. Dans certaines écoles, les enseignants ont été réquisitionnés pour contrôler le vote. Ils témoignent des énormes pressions qu’ils ont subies.
…..Face à ce chaos électoral, les observateurs sont restés impuissants. L’OSCE en avait missionné plus de 300 dont deux n’ont pas obtenu de visa, à l’instar de plusieurs journalistes internationaux. Tous n’ont pas été autorisés à connaître le nombre d’électeurs inscrits dans les bureaux de votes. Aucun n’avait de mandat pour effectuer des observations sur les bases militaires. L’ONG Viasna est illégale en Biélorussie et ses militants risquent d’être arrêtés à tout moment. 300 personnes se sont malgré tout portées volontaires pour observer les élections en son nom. De l’aveu de Valentina Stefanovich, la mission n’a aucun impact sur les résultats, mais elle est « vitale pour les Bélarusses qui réclament plus de transparence ».
…..La transparence se réclame discrètement car les manifestations sont interdites en Biélorussie. Alexandre Loukachenko a chargé son propre fils Viktar, à la tête de la police et des services de sécurité, de mettre fin à toute tentative de contestation. Et le fiston a obéi : le premier jour du scrutin, une manifestation fut dispersée. Certains manifestants ont été arrêtés alors qu’ils distribuaient du borteck (une soupe traditionnelle) en signe d’opposition à la directrice de la Commission centrale électorale, Lidya Yermochina, qui avait recommandé aux femmes de rester cuisiner à la maison au lieu de s’impliquer en politique. Pour que le vote soit déclaré valide, la moitié des électeurs au moins devaient y prendre part. Finalement, 74% des Biélorusses ont voté selon la Commission électorale. 38% selon le parti chrétien-démocrate. 109 des 110 députés ont été élus dès le premier tour.
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Malgré la certitude des fraudes et intimidations, Loukachenko gamberge. Il l’a annoncé le jour-même du scrutin : « Si certains doutent du choix du peuple biélorusse, je ne sais pas quelles normes nous devons appliquer pour les prochaines élections. » Certains avaient pourtant des propositions à lui faire mais ils n’ont pas pris part au scrutin. Pour le président, ce sont des « lâches ». Il a déploré le boycott et l’absence de bataille politique.
Alexandre Loukachenko est le seul chef d’État interdit de séjour en Europe et aux États-Unis en raison de ses multiples violations des droits de l’Homme. Son État est le seul pays d’Europe à ne pas siéger au Conseil Européen. L’Union Européenne ne reconnaît pas les élections qui s’y déroulent. Pour Catherine Ashton, le scrutin de septembre 2012 a été une occasion manquée de conduire des élections en accord avec les standards internationaux. Pour Pawel Kowal, membre polonais du Parlement Européen, le terme même d’élection ne devrait pas être utilisé « pour ne pas créer l’impression que la Biélorussie ait un semblant de normalité. Ce qui se passe en Biélorrussie est juste un spectacle orchestré par le régime, du maquillage sur le visage de la dictature » s’est-il lamenté.
Mais rien ne semble pouvoir ébranler Alexandre Loukachenko : « Le monde entier doit nous envier ces élections ennuyeuses. L’État où les élections ont lieu dans une atmosphère ennuyeuse et calme est un État heureux ». Si l’État ne l’est pas, sa tête semble en tout cas sereine. Elle l’est d’autant plus que depuis le 1er mai 2012, elle a interdit à son peuple d’accéder à des sites internet basés à l’étranger, sous peine d’une amende de 100 euros. L’un des derniers espaces de liberté de l’information a ainsi été verrouillé – aucune radio et aucune télévision n’est indépendante.
…..Dans un entretien au patron du quotidien The Independant, Evguéni Lebedev, Alexandre Loukachenko a déclaré : « Vous avez détruit les vies de milliers voire de millions de personnes (en Irak et en Afghanistan). Tous les jours, le monde occidental essaie de me rendre démocrate à coup de matraque. Si c’est ça leur démocratie, ils peuvent se la garder ». Les exemples choisis sont éloquents. S’il est peu probable que la Biélorussie connaisse le même destin, reste à savoir ce qui adviendra de celle qu’on appelle « dernière dictature d’Europe ».