Par Elisabeth Vallet
2012. Les budgets des campagnes présidentielles américaines ont explosé. La course aux financements est effrénée. Les candidats à la présidence des États-Unis sont à vendre, puisqu’ils n’ont pas d’autre choix pour conquérir la Maison-Blanche. Le président le sera-t-il aussi ?
…..Le coût des élections n’a cessé d’augmenter de façon astronomique depuis les années 1960. D’une part, le processus de nomination est de plus en plus long et ardu ; d’autre part, les techniques de campagne sont sans cesse plus onéreuses : sondages, publicités, marketing et organisations locales supposent toute une équipe de campagne qui doit être mobilisée très tôt, et pour laquelle il convient de disposer de fonds substantiels. Et ce d’autant que la « sagesse populaire » veut que – dans la très grande majorité des cas – celui des candidats qui a le plus d’argent en banque en début d’année électorale, gagne.
Toujours plus d’argent pour les campagnes électorales fédérales
…..En 2012, les candidats à l’élection présidentielle n’ont probablement jamais autant cherché à se rapprocher de Main Street, tout en s’éloignant – au moins en apparence – de Wall Street et de facto de l’élite à laquelle ils appartiennent. Ils ont retenu la leçon de l’élection de 2000 : les Américains voteront pour celui qui leur ressemble et appartient au « monde ordinaire », celui avec lequel ils iraient le plus volontiers boire une bière (le désormais fameux « Brew Factor »). Barack Obama se promène donc, comme Clinton l’avait fait avant lui, sur les plateaux de talk show. Son équipe de campagne tente d’effacer ainsi l’image du professeur de droit docte et froid, thé glacé et Nicorettes à la main, pour lui substituer celle d’un président simple et proche des gens, préférant les pintes. La fameuse recette de la bière brassée à la Maison-Blanche, pour le président Obama, fait partie de cette stratégie de campagne. Dans la même veine, on a pu le voir chanter Al Green ou parler bière avec Letterman, pendant que Mitt Romney entonnait « America the Beautiful ».
…..Il n’en reste pas moins que le cycle électoral de 2012 devrait atteindre des sommets financiers pharaoniques. Loin de la réalité des Américains, de plus en plus pauvres ; loin des pétitions de principe des candidats tentant de montrer qu’ils n’appartiennent pas au sérail des nantis ; loin aussi des coupures drastiques que se voient infliger les ministères fédéraux, avec de fortes répercussions sur les collectivités touchées.
Déjà 2008 avait marqué un tournant : 4,5 milliards de dollars avaient été dépensés au cours de ce cycle électoral, dont 1677 millions seulement pour l’élection présidentielle. Pour la première fois depuis les années 1970, le Comité National Démocrate avait même recueilli plus d’argent que son alter ego républicain. Barack Obama, en doublant les sommes recueillies par John Kerry quatre ans plus tôt, avait alors dépensé deux fois plus que John McCain et le Comité National Républicain réunis.
En septembre 2012 déjà, les candidats avaient accumulé des sommes substantielles : tandis que Barack Obama totalisait plus de 432 millions de dollars de fonds recueillis, Mitt Romney s’approchait lui des 279 millions.
L’apparition des Super PACs
…..Devant l’explosion des dépenses, le risque d’une trop grande dépendance des candidats à leurs bailleurs de fonds est grand. D’autant qu’en 2012, tous les candidats sérieux ont renoncé au système public de financement, lequel impose des limitations trop pénalisantes. Les candidats ont tiré les leçons de 2008, durant lequel Barack Obama dépensait en un mois ce que John McCain, contraint par ces limites, pouvait dépenser pour toute sa campagne. Dans le même temps, de nouveaux groupes partisans (les super PACs) ont fait irruption lors des élections de mi-mandat de 2010. Depuis cette date, ils bénéficient, avec la décision Citizens United v. Federal Election Commission de la Cour Suprême (réaffirmée en juillet 2012 dans le cadre d’un moratoire édicté au Montana), de moyens de financement inégalés et de procédés tout aussi importants pour contourner l’obligation de divulgation des noms des donateurs.
…..La législation les autorise à recevoir des contributions non limitées, pour financer exclusivement des dépenses dites indépendantes. Mais les Super PACs sont tenues théoriquement de les déclarer à la Federal Election Commission (FEC). En théorie seulement, car pour contourner cette obligation, ils font transiter les fonds par des organismes caritatifs, exempts eux de divulguer le nom de leurs philanthropes (selon la clause 501c(4) et (6) du code fiscal). C’est la raison pour laquelle on parle d’argent opaque (dark money).
…..En raison de leur ampleur (1 119 Super PACs sont aujourd’hui déclarés) et du manque de transparence, ces fonds pourraient littéralement bouleverser l’échiquier politique (en novembre 2012, ils représentent à eux seuls un fond total de plus de 661 millions de dollars). Cela fait pourtant près de 35 ans, dans la foulée du Watergate puis du scandale Enron, que le Congrès cherche à moraliser la vie politique. En vain. Les partis continuent à offrir aux donateurs un accès privilégié aux ministres et présidents de commissions parlementaires. Les plus gros contributeurs bénéficient de « faveurs » – voyages à bord d’Air Force One, nuits à la Maison Blanche, participation aux missions commerciales à l’étranger et autres invitations aux événements phares tenus par le président.
Dès lors, connaître le nom des donateurs aux candidats, PACs et SuperPACs, constitue une des clés de lecture de la démocratie dans la mesure où cela permet de retracer d’éventuels renvois d’ascenseur. Plusieurs fois, des journalistes ont révélé au grand jour et a posteriori ces liens malsains, valant même un Prix Pulitzer à Jeff Gerth en 1998.
…..L’imputabilité du président, une fois élu, sera réduite d’autant puisqu’il sera plus difficile de savoir de qui son élection a pu dépendre. Le risque est donc plus grand de voir le président (et non plus seulement le candidat) renvoyer l’ascenseur avec d’autant plus d’aisance qu’il y a moins de contrôle. Toutefois, le fait que les candidats s’appuient de plus en plus sur les réseaux sociaux pour faire leur levée de fonds renforce la place des petits contributeurs. Ainsi, dans le cas de Barack Obama, les contributions de moins de 200$ représentent 38% de ses donateurs (mais seulement 17% pour Romney) ce qui minore un peu la place des grosses contributions individuelles.
La Maison-Blanche n’est peut-être pas encore vendue.
Élisabeth Vallet est professeure associée au Département de géographie, directrice de recherches à la Chaire Raoul-Dandurand, membre de l’Observatoire sur les États-Unis de l’UQAM, et auteure de Comprendre les élections américaines publié chez Septentrion (2012).
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Les sources sont tirées de compilations établies par Elisabeth Vallet, mais aussi du Center for Responsive Politics. Nous vous invitons à explorer ce site qui vous donnera des informations précieuses et régulièrement actualisées sur les financements électoraux américains.