La peur brune dans les urnes

Par Amélie Poinssot

© Ggia

Aucun politologue, aucun journaliste, aucun sondeur, si bon soit-il, n’avait prédit un tel phénomène. Le groupuscule néo-nazi Chryssi Avgui (« Aube Dorée » en grec) a recueilli 6,97% des voix lors des premières élections anticipées du 6 mai 2012. Un score confirmé lors du second scrutin. Désormais, le parti compte 18 députés à la Vouli, le Parlement grec. Une assise politique acquise brutalement à coups de communication  subversive, sur fond de crise sans précédent.



Un discrédit pesant sur les autorités en place

…..Pour les observateurs internationaux, ces résultats semblent aberrants. Pourquoi voter pour un parti qui prône la violence comme mode d’action et en particulier la violence contre les immigrés? La bascule n’est pas si évidente à comprendre… « pour nous qui raisonnons en termes rationnels, précise le chercheur Yorgos Tzogopoulos. Mais pour quelqu’un qui souffre, qui a perdu son emploi, qui ne voit pas de lumière au bout du tunnel… On ne peut pas exiger de lui qu’il réfléchisse à tête reposée. Ce n’est pas la logique qui guide son vote, mais la réaction. » Réaction, d’accord ! Mais pourquoi en faveur d’un parti quasi-inconnu ?

En trente ans d’existence marginale, le parti Aube Dorée n’avait jamais dépassé 0,29% des voix lors de scrutins nationaux. Il ne possédait aucun mandat politique au niveau national, seul un membre a été élu conseiller municipal, en 2010, pour la Mairie d’Athènes. Le groupuscule était donc à l’écart de l’ancien système politique : une position qui allait jouer en faveur de ses intérêts.

Petit retour en arrière. Les deux grands partis qui ont gouverné en alternance la Grèce depuis la fin de la dictature en 1974, PASOK (socialistes) et Nouvelle Démocratie (conservateurs), n’ont plus un sou en poche. Les caisses de l’État sont vides, tout le monde le sait. Et les partis n’ont plus rien à promettre à leur clientèle, comme ils le faisaient lors des élections précédentes, notamment à travers l’octroi de postes dans la fonction publique. Leurs électeurs traditionnels n’ont donc plus d’intérêt à voter pour eux et ils sont profondément déçus par la politique d’austérité à l’oeuvre depuis début 2010. Leur voix ira donc ailleurs : l’heure est au rejet du système bipartite caractéristique de la Grèce post-dictature. Pourtant, les électeurs de Chryssi Avgui ne sont pas tous partisans d’une idéologie proche du nazisme, loin de là. Comment le parti les a-t-il donc convaincus?


L’intervention des médias grecs


…..Déjà au cours de l’hiver, tandis que l’annonce officielle des élections anticipées se faisait attendre, la télévision grecque n’a cessé de relater les apparitions d’Aube Dorée. Dans ce contexte hors campagne, les médias n’avaient pourtant aucune obligation de parler de ce parti non représenté au Parlement. Puis entre les deux scrutins, les attaques de membres d’Aube Dorée envers les immigrés se multiplient et dépassent le cadre de la capitale, projetant immédiatement le parti sur le devant de la scène médiatique. Ce fut le cas lors de cette nuit de violence du 22 mai, à Patras. « Ce qui fait la différence entre Aube Dorée et les autres formations d’extrême droite en Europe, ou encore le mode d’opération des skinheads, est que non seulement ce parti met en pratique ses appels à la haine, mais qu’en plus, il en fait la publicité », explique Dimitris Psarras, fin connaisseur de cette formation néo-nazie. Ce journaliste d’investigation s’apprête à sortir un ouvrage sur le sujet, Le livre noir d’Aube Dorée. Documents sur l’histoire et l’action d’un groupe nazi. Alors que les pages sont déjà chez l’imprimeur, il nous explique à la terrasse d’un café d’Athènes que les membres du parti, lorsqu’ils prévoient une action coup-de-poing, préviennent les télévisions locales. De leur côté, les chaînes retransmettent les images de violence… « en répétant qu’il ne faut pas voter pour ces extrémistes, ce qui a eu l’effet exactement inverse, renchérit Yorgos Tzogopoulos. Car les électeurs n’avaient pas de leçon à recevoir de la part des journalistes de télévision, assimilés dans l’esprit des Grecs à la classe politique dominante, qu’ils considèrent comme responsable de la situation actuelle. »


Manipuler le sentiment de détresse générale


…..Parallèlement à ces ratonnades, Aube Dorée se construit une image de parti proche des plus démunis, accompagnant les personnes âgées retirer de l’argent à la banque et organisant des soupes populaires… autorisées aux seuls détenteurs d’une carte d’identité grecque ! Une image fabriquée à partir de quelques actions soigneusement mises en scène et relayées par les journalistes qui ne vérifient pas sur le terrain si l’action a bien lieu lorsque les caméras ne sont pas là. Si quelques distributions de nourriture ont parfois eu lieu dans le centre de la capitale, nul n’a vu par exemple un membre de Chryssi Avgui dans la petite ville de  Kiato. Située dans le nord du Péloponnèse, il s’agit de la circonscription où la proportion d’électeurs d’Aube Dorée a pourtant été la plus élevée au soir du 6 mai (13,34 %).


De la victime à l’agresseur


…..Pour le parti, qui dispose encore de soutiens au sein de l’armée, et surtout au sein de la police – où les liens avec la dictature des Colonels n’ont pas totalement disparu – cette stratégie médiatique s’accompagne d’une rhétorique de la victimisation, bien connue des analystes de l’extrême droite : « Nous sommes exclus des médias ! », disent-ils sans cesse. Le dirigeant du parti l’a d’ailleurs répété agressivement au soir du premier scrutin. Un mythe. « Les plateaux télé, guidés par le sensationnalisme et la recherche d’audimat, raffolent des membres d’Aube Dorée dans les débats, surtout s’ils sont opposés à quelqu’un d’extrême gauche… », souligne Dimitris Psarras. C’est ainsi que l’on aboutit à l’un des épisodes les plus marquants de l’entre-deux-scrutins : au cours d’une émission, le porte-parole d’Aube Dorée s’emporte et gifle, en direct, une député du Parti Communiste. L’évènement qui a fait le tour du Net révèle au grand jour le mode d’action du parti : violence, et violation des principes élémentaires de démocratie. Le geste aurait pu rebuter un certain nombre d’électeurs, mais il a au contraire affermi le socle du parti : la gifle est apparue comme un exécutoire de la colère enfouie d’une partie des Grecs qui rejette en bloc le système politique.


…..Aube Dorée symbolise désormais le parti anti-système, et il est parvenu à se faire connaître dans les quatre coins du pays : il n’en fallait pas plus, dans un contexte de crise exacerbée, pour accéder aux arcanes du pouvoir. La formation touche à présent les subventions alloués aux partis élus au parlement : pour le premier semestre de la législature, Aube Dorée a déjà encaissé 3,2 millions d’euros.




Amélie Poinssot est correspondante en Grèce pour Radio France Internationale.
Elle travaille également pour RFI et Mediapart.
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