Quand la dictature iranienne se pare de démocratie

Par Céline Lemaire

© Céline Lemaire, Progress in work


Les élections législatives ont eu lieu, mais entre conservateurs. Tandis qu’une lutte de pouvoir oppose le parti du président Mahmoud Ahmadinejad aux islamistes, les réformistes et le Mouvement Vert ont été écartés de la campagne. Sous ses faux airs démocratiques, ce scrutin appuie l’oppression que subit la population iranienne.




…..Les 2 mars et 4 mai 2012, les Iraniens ont élu les membres de leur Parlement, le Majlis. Une parodie de processus démocratique durant laquelle ils ont dû choisir entre les islamistes pro-Ahmadinejad et les islamistes conservateurs. En Iran, la démocratie n’a pas beaucoup progressé depuis l’élection présidentielle de 2009, où des manifestations avaient été sévèrement réprimées après que le Mouvement Vert ait dénoncé le trucage des résultats. Depuis, le régime a poursuivi son œuvre d’emprisonnement des opposants et de façonnement des cerveaux, en supprimant certains enseignements à l’université par exemple. Passé maître dans l’art de la propagande et de la censure, l’Iran est 175ème sur 179 pays au classement de la liberté de la presse.


Répression et intimidation


…..Durant la campagne législative de 2012, la répression a battu son plein. Blogueurs, journalistes, syndicalistes, avocats, intellectuels, et même certains amis d’Ahmadinejad ont été arrêtés. Les coupures d’Internet et les censures se sont multipliées. Cette année pourtant, le peuple ne s’est pas levé. Le Mouvement Vert a-t-il été bâillonné ? Pour Kianoush Rameziani, caricaturiste iranien en exil à Paris, les opposants sont toujours nombreux et ceux qui ne sont pas en prison cherchent de nouveaux modes d’expression. Pour lui, la jeunesse de Téhéran oppose aujourd’hui une résistance plus subtile au régime. Les gestes les plus anodins de la vie quotidienne – boire un verre de vin, assister à un concert non autorisé, ou porter le voile d’une certaine façon – ont valeur de slogan.


…..Sans journal libre et sans instance de contrôle indépendante, les chiffres ne sont pas vérifiables. Et en période électorale, le régime a la main-mise sur l’intégralité du dispositif. Frêles oiseaux en cage, les journalistes étrangers peuvent parfois rester parqués de longues heures dans leur hôtel. Certains électeurs prennent le relais et se jouent de la censure sur Internet. Sur leurs blogs, les citoyens-hakers racontent des épisodes aussi surprenants que celui d’un blogueur qui avait décidé de ne pas aller voter, mais qui s’est vite exécuté lorsqu’une urne lui a été livrée sur le pas de sa porte.


…..Fraude et corruption, les différents clans du camp conservateur s’en accusent mutuellement. Une aide allouée aux pauvres fait office de carotte au bout de la matraque d’Ahmadinejad. Généreux père de patrie, son gouvernement leur verse l’équivalent de 28 euros par mois. Maigre cagnotte censée compenser l’inflation (officiellement évaluée à 21,6% et générée par les sanctions internationales).


Sélection (naturelle)


…..5 400 Iraniens dont 409 femmes ont souhaité se porter candidats à la députation en 2012. Un doux rêve pour un tiers d’entre eux. Deux instances ont en effet fait le tri. Le Ministère de l’Intérieur d’abord, qui en a écarté 750, puis le Conseil des gardiens de la Constitution -une assemblée de 12 juristes religieux – qui en a éliminés 1 150 autres, sans précision quant à la raison.


…..Cette dernière est à trouver dans le droit iranien, selon lequel les candidats doivent prêter serment de fidélité à la Constitution et reconnaître l’autorité du Guide Suprême, l’ayatollah Khamenei. Ils doivent d’abord être musulmans pratiquants (5 sièges représentant les minorités sont exemptés de cette règle). Tous les candidats doivent par ailleurs être en bonne santé et depuis cette année, disposer d’un diplôme de master. Ils ne peuvent pas se présenter s’ils ont soutenu l’ancien régime (pré-islamique), sont de grands propriétaires terriens, appartiennent à des associations illégales, ont porté atteinte à l’État ou sont toxicomanes.


…..Privés de candidature, les leaders du Mouvement Vert ont appelé au boycott du scrutin. Pour le gouvernement, l’enjeu majeur est donc devenu la participation. Une fatwa selon laquelle « ne pas voter est un péché » a immédiatement été lancée. A quelques jours du vote, les citoyens ont reçu des SMS aussi cocasses que : « Les États-Unis ne pourront envisager d’attaquer l’Iran que si la participation est inférieure à 50% ! ».


Conservateurs versus islamistes


…..Cinq listes étaient en présence pour ces élections : le Front Uni conservateur et le Front de l’Endurance (tous deux proches du Guide Suprême Ali Khamenei), la Voix de la Nation (anti-Ahmadinejad), le Front de la Persistance (proche d’Ahmadinejad et du Guide) et le Front de monothéisme et de justice pro-Ahmadinejad.


…..Chose surprenante pour l’observateur non avisé : Ahmadinejad est considéré comme réformiste par les conservateurs, puisqu’il conteste l’autorité du Guide Suprême et est plus attaché selon eux à l’identité iranienne qu’à l’identité islamique. Ils l’accusent ainsi de faire preuve de laxisme sur la question du vêtement islamique. En réaction à la fermeture de bars et restaurants qui accueillaient des femmes ne portant pas le hijab, Ahmadinejad a déclaré cet été que « les autorités devaient laisser le choix au peuple. Si les gens ont le choix, il choisiront certainement la culture et les croyances iraniennes ». Le camp conservateur lui reproche par ailleurs sa mauvaise gestion de la crise économique et la chute de 40% du rial entre octobre 2011 et mars 2012.


…..Pourtant, l’opposition entre les deux camps tient plus de la lutte de pouvoir que de discordances fondamentales. En 2009, le Guide Suprême avait soutenu le président dont l’élection était contestée. Mahmoud Ahmadinejad défendait alors les idées de ce dernier. Les hostilités ont débuté plus tard, en 2011, lorsque Ahmadinejad a voulu faire main basse sur deux piliers du pouvoir, le Ministère du pétrole et celui des renseignements. Depuis, la guerre est déclarée entre le président et le Guide Suprême, lequel se contenterait bien d’un président faible. Khamenei a d’ailleurs évoqué la possibilité de le faire élire par le Parlement plutôt qu’au suffrage universel, source selon lui d’une trop grande incertitude et d’une légitimité gênante.


Des chiffres plus qu’incertains


…..Les 2 mars et 4 mai, 290 députés ont été élus pour quatre ans. Selon les autorités iraniennes, 60% des électeurs auraient pris part au vote, mais ce chiffre est difficilement vérifiable. Le soir de l’élection, les autorités annonçaient des taux de participation différents et incohérents. A Boroujerd par exemple, les autorité annonçaient 58% de votant et le gouverneur de la ville 68%. Du côté de la prison d’Amol, 1500 bulletins de vote ont été recensés, pour 900 détenus seulement.


…..Selon les chiffres annoncés le 6 mai, le Front Uni pro-Khamenei a obtenu 65 sièges, contre 25 seulement pour le Front de la Persistance pro-Ahmadinejad. Particularité de la politique iranienne, les candidats peuvent se présenter sur les deux listes. Ceux-là ont remporté 61 sièges. Les indépendants disposent de 98 sièges, les minorités de 5 et divers conservateurs de 15. Les réformateurs ayant boycotté les urnes n’ont obtenu que 21 sièges, contre 60 dans la précédente Assemblée. Pour Mosstafa Najar, le Ministre de l’Intérieur, ces résultats sont «une gifle infligée aux ennemis de la nation».


…..Pour le journaliste Jason Rezaian, la victoire des conservateurs peut être interprétée comme la réaction des Iraniens face à l’isolement mondial de leur pays. Une montée du nationalisme par réaction aux sanctions internationales et une revendication religieuse contre la puissance occidentale.


…..Mahmoud Ahmadinejad sort quant à lui très affaibli de cette élection. Pour lui, il s’agit désormais de tenter de se maintenir jusqu’en 2013. Ayant atteint la limite de deux mandats, il ne pourra plus se présenter. Amir Mohebian, éditorialiste pour le quotidien conservateur Resalaat, lui prête des intentions « à la Poutine ». Laisser sa place à un homme de confiance en 2013, puis revenir pour un autre mandat, en 2017.


…..Avec ou sans Ahmadinejad à la tête du pays, tout porte à croire que l’opposition restera largement à l’écart du jeu politique. Si comme le clame Kianoush Ramezani, les Iraniens ne doivent pas prendre les armes ; si aujourd’hui il est possible de renverser un dictateur par la seule force des nouvelles technologies, il reste à savoir comment s’exercera cette force.




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